Après avoir travaillé au Congo pendant 6 ans pour le compte de l’ONG française Initiative Développement (ID), Agnès est retournée dans son pays natal avant le terme de son mandat au Comité de pilotage du PCPA. Nous avons recueilli ses impressions.
La Lettre du PCPA Congo (LPC) : Pour commencer, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Agnès Rossetti (AR) : Française, originaire d’une région frontalière avec la Suisse, j’ai une formation d’Ingénieur en génie civil, et d’urbaniste. J’ai toujours travaillé par choix dans la fonction publique territoriale, au service du bien commun. J’ai arrêté en 2011, après 30 ans d’une belle carrière et l’envie de poursuivre différemment ; pendant 3 ans, j’ai continué, bénévolement, à travailler pour la coopération décentralisée entre le Pays de Montbéliard où j’habite, et la Commune de Zimtanga au Burkina Faso. Puis l’occasion s’est présentée de partir au Congo Brazzaville avec une ONG, ID. Ce qui m’intéressait, dans le poste proposé, c’était le développement local, qui cherche à fédérer la population et l’ensemble des acteurs locaux à agir pour le bien commun
LPC : Quand et pourquoi êtes-vous arrivée au du Congo ?
AR : Dois-je vous avouer que je situais bien la RDC mais pas le Congo Brazzaville, avant d’arriver ? Vu de France, on n’entend vraiment que rarement parler de ce pays, Je suis donc arrivée au Congo en juin 2014. Un nouveau poste, mixte (responsable du programme Filière Cuiseurs économes-FCE, et Directrice Pays) était à pourvoir. Outre animer un programme à Brazzaville (FCE), et superviser un programme (Programme Agriculture et Développement Local (PADEL) 2 dans 3 districts du Pool (Boko, Louingui, et Loumo ), j’avais aussi pour objectif de développer ID au Congo.
J’avais pris un engagement de 2 à 3 ans, j’y suis restée 6 ans…
LPC : Quelles sont les activités d’ID au Congo et qui sont leurs bénéficiaires ? Quelle participation d’ID à l’amélioration de leurs conditions de vie ?
AR : Deux grands thèmes prédominent dans le travail d’ID au Congo :
- d’une part les questions de bois-énergie, liées à une diversification économique et la promotion de l’entrepreneuriat local (projets Initiative Economique. (INECO) dans la Bouenza, et FCE à Brazzaville et Pointe Noire). Il ne s’agit pas seulement de vendre des cuiseurs qui économisent le bois et le charbon (CE), mais d’abord de créer une filière économique locale, qui n’ait pas besoin de l’appui d’une ONG pour vivre. L’autonomie est donc visée. Les bénéficiaires en sont :
- de petites unités artisanales de soudure, avec la formation non seulement technique et à une démarche qualité, mais aussi en terme de gestion d’entreprise.
- les vendeurs de CE, également formés à la gestion de stocks et de leur boutique, et au contrôle qualité des produits qu’ils achètent.
- et les utilisatrices (utilisateurs aussi :-)) de cuiseurs, qui inhalent moins de fumée grâce aux cuiseurs économes, et font des économies d’achat de charbon ou de bois.
- – enfin, dans la Bouenza, 8 individualités ou groupements (une vingtaine de personnes au total) ont été accompagnés à créer leurs propres pépinières d’arbres, vraies micro-entreprises participant au renouvellement de l’arboriculture et des vergers, au reboisement, et par là-même à la lutte contre le dérèglement climatique.
Avec le temps, la préoccupation d’intégrer les femmes et les jeunes a été de plus en plus prégnante ; ainsi un partenariat existe avec l’Association Don Bosco, qui forme des jeunes vulnérables à des métiers artisanaux dont la soudure…et à la fabrication des cuiseurs économes ; il y a eu aussi des collaborations avec ASI, IECD, ESSOR et des associations ou mutuelles locales.
- d’autre part le développement local, avec deux projets phares : Economie et Développement Local (ECODEL) dans le Pool et la Bouenza (7 districts d’intervention), et Agriculture et Développement Local (ADEL)-DH dans la Lékoumou (3 districts).
Ces deux projets ont pour point commun d’appuyer la décentralisation, encore bien faible, en contribuant à structurer la société civile par la création à l’échelle des districts d’intervention de Comités de Développement Local (CDL). A la suite ceux-ci élaborent un Plan de Développement Local (PDL) pour leur propre district. Aujourd’hui, il existe 9 CDL, 8 PDL, le 9_ème étant en cours d’élaboration dans le district de Komono (département de la Lékoumou). Un comité de suivi avec un Plan d’Action a été créé à Kindamba (département du Pool), l’inaccessibilité de ce territoire entre 2016 et 2018 n’ayant pas permis de conduire la structuration locale comme prévue.
Soulignons que notre partenaire dans le projet ECODEL, la Fondation Niosi, a elle-même instruit la création d’un CDL dans le district de Mbandza Ndounga (Pool).
Là encore avec le temps, la non-participation des jeunes et des femmes est devenue inacceptable : peut-on parler de développement en laissant de côté au moins 60% de la population ?
Progressivement, des thématiques spécifiques, des ateliers non mixtes, des quotas instaurés dans les assemblées et les projets se sont employés à inclure toute la population, avec de bons résultats. Dans les 3 districts de la Lékoumou, la question autochtone a été soulevée dès le début, avec des quotas d’inclusion aux CDL. Avec le temps, les lignes bougent : travailler ensemble sur une même vision et des projets aide dans l’évolution des comportements et de la reconnaissance des droits. Aujourd’hui, dans la Lékoumou, le projet ADEL-DH est soutenu par l’Union Européenne dans le cadre de l’instrument Européen pour la démocratie et les droits de l’Homme (IEDDH), « la promotion des droits humains et leur application au quotidien sont indissociables d’un développement local pérenne ».
LPC : Avez-vous tissé des liens de partenariats avec les acteurs locaux (PP et OSC) dans la mise en œuvre de vos activités ? Si oui, qui sont vos partenaires et sur quoi travaillez-vous avec eux ?
AR : A ID, nous ne concevons pas d’arriver sur un territoire sans que les autorités locales ne soient informées, voire impliquées. Nous avons de réels liens de partenariat avec les départements, et plus encore nous nous réjouissons que les CDL y aient des liens réguliers, car les Plans de développement Local sont des outils aussi pour les départements et leurs PDD (existant dans le Pool ou en projet dans la Lékoumou et la Bouenza). Les Préfets, sont tous informés de nos activités, les sous-préfets sont des partenaires locaux incontournables, souvent aidants, force de proposition et médiateurs. Plusieurs services déconcentrés sont parties prenantes, notamment les Chefs de secteurs agricoles (CSA), mais aussi les affaires sociales et la promotion des droits humains et populations autochtones (Lékoumou).
Nous avons développé des partenariats dans chaque projet avec des OSC Congolaises, notamment avec la Fondation Niosi, depuis 2010 (Projets PADEL puis ECODEL), avec l’Association pour la Protection des Droits des Peuples Autochtones et Personnes Vulnérables (APDPA-PV) et le Centre d’Echanges et de Ressources pour la Promotion d’Actions Communautaires (CERPAC) (ADEL-DH Lékoumou), prochainement avec l’Association professionnelle pour la valorisation des produits forestiers non ligneux (APVPS) dans la Likouala. Et bien sûr avec les CDL eux-mêmes, avec lesquels des conventions de partenariat sont signées, en appui à des actions de formation et à la mise en œuvre de leurs PDL.
LPC : Comment avez-vous vécu l’expérience PCPA Congo : a) En général ? b) En tant que membre de l’AP ? c) En tant que membre du Comité de pilotage ?
AR : Sincèrement, les premières années, j’ai suivi les activités du PCPA de loin, mais, vu leur préoccupation quant au développement local, vu le plaidoyer qu’Alain Mbemba faisait (à la fois ami / membre de la Fondation Niosi, notre partenaire historique/ et travaillant dans l’équipe de coordination du PCPA) pour que je m’y implique plus, j’ai accepté de participer à une journée « développement local » et de présenter ma candidature à l’Assemblée Plénière en 2017 ; et voilà , j’ai été élue au comité de pilotage (COPIL) et essayé d’y apporter ma contribution, et de soutenir l’équipe quand j’étais sollicitée ; par exemple dans la préparation de la journée de lancement de la phase d’envol (2019-2021), dans la relecture de documents à diffuser, de TDR, etc.
LPC : Dans votre participation au Comité de pilotage, quelles sont vos réussites ? Avez-vous des regrets ? Lesquels ?
AR : Il n’y a pas de réussite individuelle. Nos réussites sont collectives, d’abord parce qu’il y a une équipe de coordination en permanence à Brazzaville et en régions et qu’elle abat un sacré boulot, ensuite la responsable programme et la Déléguée générale du CFSI sont aussi très présentes ; et le Comité de pilotage ne se contente pas de se réunir 2 jours-2fois par an ; il interagit avec l’équipe, donne son avis, prend des initiatives. L’échange d’informations, notamment avec les associations de défense des droits humains, la circulation des avis d’appels d’offres, de formations et autres font du PCPA un outil fédérateur pour toutes les OSC locales et nationales militantes.
C’est finalement avec un petit pincement de cœur que je quitte l’équipe de coordination et le COPIL, avec tous leurs membres engagés, chaleureux, et avec de solides convictions.
LPC : Malgré le fait que votre mandat au Copil ne soit pas arrivé à son terme, avez-vous pu réaliser vos motivations à participer au comité de pilotage ?
AR : Réaliser, non, contribuer, oui, enfin j’espère… c’est aussi à celles et ceux avec lesquels j’ai travaillé de répondre. En tous cas, malgré mon peu de temps de présence sur Brazzaville, j’ai vraiment essayé de répondre aux sollicitations de l’équipe et d’y apporter mes compétences.
LPC : Quels souvenirs gardez-vous de votre collaboration avec la société civile congolaise ?
AR : Ce sera un souvenir empreint d’inquiétude. Beaucoup d’OSC restent fragiles, dépendantes d’une personne, d’un notable … En plus, la place des femmes et des jeunes y reste encore marginale. La reconnaissance des OSC par les Autorités nationales peine à se concrétiser, elles ont du mal à écouter et accepter d’autres avis et propositions, considérant encore trop les OSC avec méfiance. Et la loi sur les associations, votée mais non promulguée, reste un danger pour la démocratie et la libre expression. Cependant, la présence au COPIL du PCPA de hauts fonctionnaires des affaires sociales, du ministère du plan ou des affaires étrangères sont des signes encourageants d’un partenariat possible et souhaitable.
J’ai été heureuse de rencontrer des OSC particulièrement dynamiques, alors que l’accès aux subventions, et les déplacements sont difficiles pour elles ; hors Brazzaville, elles ont cependant l’atout de pouvoir plus aisément être reconnues et collaborer au bien commun avec les autorités locales, qui sont elles-mêmes plus au contact des réalités et besoins de la population. Des personnes resteront dans ma mémoire, et celle de ID, avec, pourquoi pas, d’éventuelles collaborations dans l’avenir !
LPC : La vision des membres du PCPA est de devenir des leaders incontournables dans le dialogue avec les pouvoirs publics : selon vous, quel chemin parcouru, et que reste-il à faire ?
AR : Tout le monde ne peut ni ne veut avancer au même rythme, les attendus du PCPA n’ont pas été systématiquement les mêmes pour toutes les OSC adhérentes. Des dynamiques locales et nationales ont fédéré des OSC dans des projets communs. De véritables occasions de dialogue, grâce à des RDV, des ateliers, des projets se sont ouvertes entre des OSC et des autorités locales, dans la Bouenza, Brazzaville, la Cuvette, le Niari, les Plateaux, et , Pointe Noire,. La meilleure réussite du PCPA sera que ces dynamiques et ce dialogue se poursuivent naturellement après 2021. La société civile congolaise doit affirmer son autonomie et ses capacités d’action au service du bien commun.
Avez-vous un message à l’endroit des membres du PCPA, et ou du comité de pilotage ?
AR : Au Comité de Pilotage…MERCI pour le travail accompli ensemble, les idées, les initiatives, les échanges d’expérience, les débats, les moments partagés, qui ont contribué à améliorer la réflexion et l’action du PCPA.
A tous … Le PCPA a beaucoup œuvré au renforcement des organisations, il appartient désormais à chacune de valoriser ses compétences acquises, de poursuivre ses missions, de maintenir des liens de solidarité et des partenariats avec d’autres OSC et AL, en autonomie et sans avoir toujours besoin d’appuis venant de l’extérieur.
LPC : On vous connait dynamique et pleine d’initiatives, maintenant que vous êtes de retour en France, quelles sont vos projets ?
AR : … j’ai l’âge de prendre ma retraite, mais je n’ai pas dit qu’elle serait inactive ; je pense reprendre des missions, plus courtes, et bénévoles, toujours pour accompagner les plus vulnérables dans leurs droits au respect, à une vie décente et à s’exprimer librement, et ce aussi en France.
LPC : Quel est votre mot de la fin ?
AR : Quand on s’engage au service du bien commun, il me vient plusieurs mots : convictions, altruisme, probité, courage et détermination.